Séminaire Genre & Paix, Apport des Épistémologies Féministes
Le 24 avril dernier, Carol Mann présentait à notre groupe de travail un récit détaillé d’une précision historique rare sur son expérience en tant que chercheuse et humanitaire en Afghanistan.
Malgré les doutes et questionnements personnels que cette double casquette continue de susciter chez elle, Carol Mann nous confie que l’articulation entre son engagement humanitaire et sa carrière académique lui était apparue comme une évidence dès ses débuts. Aller sur le terrain pour appliquer des théories existantes, en arrivant les mains vides — et, d’une certaine manière, la tête vide — lui aurait, à l’inverse, paru profondément indécent.
En s’engageant avec FemAid auprès des populations locales tant en Afghanistan que dans les camps de réfugiés au Pakistan, la chercheuse a pu tisser des liens forts avec les différentes communautés locales, et appréhender par la même occasion les réalités et besoins des femmes afghanes dans leurs individualités et diversité. À travers son engagement humanitaire, Carol Mann a donc proposé, de manière résolument avant-gardiste, de redéfinir l’approche méthodologique du terrain scientifique selon un principe féministe non-extractif de collaboration et de co-construction de la recherche.
Cette démarche lui a permis de mettre en évidence un constat frappant : l’aide humanitaire occidentale déployée en Afghanistan s’est révélée inadéquate. Pendant vingt ans, dans une logique héritée de la guerre froide, les États-Unis et le bloc de l’Ouest ont dépensé des sommes considérables, inondant l’Afghanistan d’une aide humanitaire souvent imposée, sans réel consentement ni même consultation. Non seulement cette aide n’a pas produit les effets escomptés, mais elle s’est en grande partie évaporée, révélant ainsi l’urgence de l’application des principes de redevabilité.
Dans le prolongement de cette critique, Carole Mann nous invite également à nous interroger sur les voix mobilisées dans les projets humanitaires. Elle rappelle notamment que Bush et consorts ont délibérément ignoré les structures modernes et universitaires mises en place à Kaboul sous le régime communiste, par simple rejet idéologique. En effet, bien que deux types d’aide humanitaire internationale déployées en Afghanistan se distinguent, elles répondent toutes deux à des logiques idéologiques et à des intérêts géopolitiques de domination. La première, d’inspiration universaliste, ignore les spécificités culturelles, historiques et linguistiques des sociétés locales au nom d’une morale humaniste occidentale. La seconde, héritée de l’histoire coloniale britannique, repose sur une approche anthropologique aux tendances essentialisantes, fondée sur des particularités culturelles parfois exagérées, voire inventées. Dans un cas comme dans l’autre, les femmes sont réduites au rôle de victimes, éternelles bénéficiaires de l’aide humanitaire. Cette représentation, profondément ancrée dans l’imaginaire occidental, voit « la femme des (ex)colonies » comme une figure vulnérable qu’il conviendrait de protéger de sa propre société.
Ainsi, le compromis entre recherche académique et travail humanitaire serait-il moins bancal, si les parties prenantes prenaient note des erreurs du passé et collaboraient plus étroitement avec les membres des communautés locales. Car si la résistance en Afghanistan est silencieuse, elle continue de s’organiser dans l’intimité des femmes des villages, qui, dans la clandestinité, enseignent aux plus jeunes le pouvoir de l’éducation dans leur quête de liberté.
Pour aller plus loin…
- Podcast France Culture, La Longue Histoire de l’Afghanistan.
- Blog Médiapart Carol Mann, Quand des adolescentes résistent.
- Amnesty International, Interview de Carol Mann, Les Femmes Afghanes et le Conflit Armé.
- NGO 2 GAP, Interview de Carol Mann, L’Université en Exil.