Séminaire Genre & Paix, Apport des Épistémologies Féministes

À la différence de la guérilla colombienne, le conflit armé péruvien, qui a opposé pendant plus de vingt ans les forces communistes du Sentier Lumineux, le Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru (MRTA) et les forces armées de l’État, s’est achevée sur une paix imposée, non négociée.

 

Loin d’ouvrir des processus de réhabilitation pour les ex-combattants, l’état péruvien, seul vainqueur de cette guerre mortifère, contraint les mouvements révolutionnaires à une capitulation quasi totale. Dès les années 2000, il impose au gré de condamnations spectaculaires, une mémoire officielle dite « salvatrice » empreinte d’un héritage fujimoriste. La mise en place d’une commission spéciale pour la vérité (CVR) en 2001 constitue alors un outil précieux dans l’entreprise étatique d’effacement des mémoires subalternes et dissidentes.

 

Ainsi, si parmi les victimes du conflit, on compte une majorité de personnes originaires des classes populaires indigènes, leur mémoire, quant à elle, demeure largement invisibilisée, voire étouffée par le pouvoir. La CVR rend, en effet, rarement compte de la prise d’armes ou de leurs implications locales des femmes quechua issues des campagnes péruviennes. À défaut d’être totalement effacées du récit national, les rares ex-combattantes dont la participation est reconnue sont sommées de se repentir, au risque d’être dépeintes comme des “terroristes” ou des “monstres sanguinaires”, justifiant ainsi la violence étatique à leur encontre. Dans les deux cas de figure, note Tania Romero Barrios, la participation des femmes au conflit est systématiquement pathologisée dans une démarche manichéenne et androcentrique du contrôle des mémoires.

 

En opposition avec la mémoire officielle que la chercheuse qualifie d’andro-héroïque et viriliste, Tania Romero Barrios, chercheuse doctorante, propose d’étudier les mémoires plurielles et post-héroïques portées par les femmes indigènes des provinces péruviennes à travers sa recherche et le projet féministe, pluridisciplinaire et participatif appelé WARMIKUNA. Ces mémoires à la fois individuelles et collectives s’inscrivent dans le quotidien post-conflit vécu et raconté selon des traditions ancestrales d’oralité et d’art du tissage. Les femmes indigènes subissent des marginalisations et violences multiples d’ordre racial, genrées et socio-économiques qui ont précédé, et d’une certaine manière motivée, leur participation au conflit armé. Or, depuis la fin du conflit armé, leurs conditions de vies ne se sont pas améliorées.  La paix ne leur a apporté ni apaisement, ni crédit mémoriel comme en témoigne l’assassinat du neveu de Paula Aguilar Yucra en 2022, lors du massacre d’Ayacucho.

 

En retraçant la pluralité des mémoires et des violences de guerre au Pérou à travers l’artisanat et l’oralité, la chercheuse met en lumière le continuum de la violence qui marque le quotidien des femmes quechua. Elle suggère que les fondements d’une paix véritable résident dans le concept quechua d’« Akwai Kay » : un apaisement, à la fois individuel et collectif, rendu possible par la considération et transcendance des violences et traumatismes du conflit.

Pour aller plus loin…
Événement à venir

Congrès de l’Institut des Amériques du 1er au 3 octobre – Exposition Warmikuna