Workshop & conférence : Justice et genre, plateforme de recherche

Réflexion et perspectives : Alliances Féministes et Visions de co-Construction de la paix,

14 Novembre 2025

Clara Etchenique, pour l’IPP.

 

Lors d’un court séjour aux Pays-Bas, l’IPP a eu l’immense plaisir de participer à une conférence régie par le principe de « Chatham House » sur alliances féministes et visions de co-construction de la paix. Cette conférence, plus qu’un simple moment d’échange, constitue la première pierre d’une entreprise collaborative, interdisciplinaire et inclusive regroupant une grande diversité d’acteurs portés par une détermination féministe commune.

 

Deux tables rondes particulièrement passionnantes, sur « genre, nouvelles technologies et menstruations » puis « Perspectives Féministes sur l’accès à la justice », ont en effet été entrecoupés par un workshop en deux parties pendant lesquelles nous avons pu travailler en petit groupes sur trois thématiques distinctes :

 

      1. Participation Politique des Femmes
      2. Accès à la Justice
      3. Droit et Santé Sexuelle et Reproductive (DSSR)

La diversité des participant·es — étudiant·es, membres de la société civile, chercheur·es et enseignant·es — a offert une qualité d’échange exceptionnelle et une analyse approfondie des défis qui restreignent aujourd’hui notre champ d’action.

 

Effectivement, plus que jamais, le constat est sans appel : la polarisation politique qui traverse nos sociétés, à toutes les échelles, combinée à la compétition accrue imposée par la logique de marché néolibérale, met gravement en péril nos efforts pour enrayer le recul des droits humains. Chercheur·es, activistes ou travailleur·ses du champ social, nous faisons face à une raréfaction des outils et des ressources indispensables à nos missions, tout en subissant des attaques constantes de la part des mouvements populistes d’extrême droite. Ainsi, pour mieux résister, les participant.es  ont mis au point une ébauche de stratégie collective visant notamment à :

 

      • Repenser les modalités de financement de nos actions pour la paix et la justice.
      • Mieux protéger les données genrées du piège orchestré par les entreprises du big data.
      • « Copier pour mieux lutter » contre les mouvements anti-genre ?
      • Décoloniser nos actions, faire moins pour faire mieux ?
      • Favoriser une épistémologie Féministe dans nos actions.
Repenser le financement de nos actions pour la paix

Notre champ d’action tant académique que politique ou encore humanitaire par le biais du travail des organisations non-gouvernementales, est actuellement largement limité par des contraintes économiques grandissantes. La polarisation politique, la montée pouvoir des parties d’extrêmes droite au pouvoir coïncident avec une baisse conséquente des subventions publiques. La concurrence accrue pour accéder aux financements, encouragée par le système capitaliste néolibéral, fragmente le tissu social et affaiblit la solidarité qui constitue pourtant notre principale force d’action, en imposant une logique de conditionnalité utilitariste. Certains appels à projets en lien avec la justice réparatrice n’accordent d’ailleurs plus de financements aux projets construits en consortium afin de forcer encore davantage la mise en compétition des membres de la société civile. De sorte que ce montage financier qui composait il y a peu encore une source d’espoir pour les acteurs de la paix, devient aujourd’hui un handicap. À cela s’ajoutent les difficultés d’attirer l’intérêt des bailleurs de fonds sur des projets labellisés féministes ou encore l’impossible temporalité imposée par les bailleurs de fonds qui forcent inexorablement les acteurs à travailler dans la précipitation et la précarité, ce qui ne peut garantir une action durable. Enfin, le manque de mutualisation des informations sur les différents appels à projets et bailleurs de fonds, entrave considérablement l’accès aux ressources financières.

 

Face à ces difficultés la réforme du mode de financement associatifs et académiques tous deux fragilisés à ce jour, s’impose. En attendant de déterminer les modalités d’une telle réforme, il est proposé de renforcer la solidarité interacteurs en organisant des ateliers d’écritures des demandes de financement et en mutualisant l’intégralité des appels à projets concernant la justice et la construction de la paix sur une plateforme commune.

 

Mieux protéger les données genrées du piège orchestré par les entreprises du big data  

Précisément en raison des dangers que fait peser la recherche illimitée de profit dans un marché néolibéral, une autre source majeure d’inquiétude réside dans le manque de données genrées sur les femmes et les minorités de genre, ainsi que dans l’exploitation de ces données par les grandes entreprises. Cette problématique prend une acuité particulière lorsqu’il s’agit de justice menstruelle. Alors même que la précarité menstruelle progresse, notamment dans les pays occidentaux, les données sur la santé des femmes et des minorités de genre restent largement insuffisantes. Comme ces informations sont déjà exploitées par les grandes entreprises et les géants du big data, il devient essentiel de limiter et encadrer l’utilisation commerciale de ces données et de réduire les risques de fuites (leaks).  D’autant que l’arrivée au pouvoir de régime liberticide et fascistes favorables au recul des droits à l’avortement fais craindre des conséquences dramatiques pour les femmes si ces données venaient à parvenir aux autorités. De la même manière, les participant.es de la conférence s’inquiètent des investissements massifs des entreprises dans l’AI au service de la sécurité tel que le contrôle aux frontières alors que l’heure semble être à la remilitarisation.  A la suite de cette conférence il s’agirait de réfléchir au cadre que nous pourrions imposer pour protéger nos données des agenda sexistes, anti-genre et racistes Au-delà de l’urgente régularisation de ces marchés, certains acteurs proposent d’investir collectivement ces marchés nous-même.

 

Copier pour Mieux lutter contre les mouvements anti-genre en Europe et dans le monde 

Les mouvements anti-genre se distinguent non seulement par leurs campagnes à grande échelle, mais aussi par leurs actions de lobbying auprès de politiciens locaux et européens. Bien organisés et fortement financés, ils ont su utiliser habilement les outils marketing pour façonner l’opinion publique et accroître leur influence à tous les niveaux.

Parallèlement, l’arrivée au pouvoir de partis d’extrême droite renforce leur visibilité dans les débats publics, tandis que les droits des femmes et des minorités se trouvent de plus en plus fragilisés. Ainsi alors que plus que jamais notre action est nécéssaire, nos capacités d’action diminue. En effet, à la suite du retour de Donal Trump au pouvoir au Etats Unis, le démantèlement de l’UNSAIDs a privé des centaines d’acteurs humanitaires de financements et affecté la vie de milliers de bénéficiaires. Le domaine de la recherche a également été fragilisé en Hollande sous le régime de coalition de droite et d’extrême droite, comme en témoigne la suppression soudaine du curricula de cours en lien avec le genre, paix justice et sécurité à l’université d’Amsterdam.  Pour mieux contrer ces mouvements qui menacent les droits des femmes et des minorités, il apparaît essentiel de s’inspirer de leurs stratégies, d’agir sur les cercles décisionnels et de renforcer notre visibilité sur les réseaux sociaux ainsi que dans les sphères politiques. Une telle action ne pourra se concrétiser que par la construction d’alliances féministes solides et opérationnelles.

 

Décoloniser nos actions et favoriser l’inclusion dans la participation politique : faire moins pour faire mieux ?

Construire une paix féministe durable et rendre une justice inclusive implique la déconstruction de nos modes d’actions hérités de la pensée coloniale. A titre d’exemple, dans le contexte de la résolution de conflit ou d’aide humanitaire hors occident, il nous faut avant toute chose écouter davantage les communautés locales, et les impliquer dans les processus décisionnels. Il convient ainsi de se distancier de nos préjugés et de ne pas imposer une vision hégémonique et néocoloniale de la paix ou de la justice. De même à l’échelle européenne ou occidentale, il convient de ne pas ignorer les rapports de dominations intersectionnels qui continuent d’exister et de très largement impacter l’accès à la justice de chacun.es. En effet, si l’on prend l’exemple des femmes musulmanes racisées et exilées, la précarité dans laquelle beaucoup d’entre elles vivent et les difficultés rencontrées à leurs arrivées en France ne peuvent qu’altérer leur accès à la justice.  Faire appel à un système de pair-aidance au sein de nos institutions et organisations peut à cet égard faciliter la prise en compte de leurs besoins et réalités.  Enfin, décoloniser nos actions signifie également ne pas vouloir systématiquement agir, mais prendre le temps d’étudier ce qui est déjà mis en place afin de favoriser une action commune et coordonnée. Souvent, agir moins peut permettre d’agir mieux et plus efficacement. Cette approche a déjà été largement adoptée par des acteur.ices de la société civile féministe et mérite d’être davantage soutenue et renforcée.

 

Favoriser épistémologie féministe dans nos actions

Bien évidemment, pour s’inscrire dans une démarche féministe, il est nécessaire d’adopter une épistémologie féministe. En d’autres termes, il s’agit de déconstruire les biais sexistes et misogynes qui pourraient, de manière insidieuse ou inconsciente, altérer nos modes d’action.

 

Au sein des organes de justice, cela signifie, entre autres, ne pas évaluer un individu selon des préjugés liés à son genre, qu’il soit choisi ou assigné à la naissance. En effet, toutes les femmes ne sont pas des victimes ou des mères courage. Certaines sont coupables, et il est essentiel de prendre en compte leur responsabilité sans tomber dans le piège de l’essentialisation. Par exemple, dans le cas de la poursuite des membres féminines de groupes comme l’État islamique, ces femmes sont souvent perçues comme ayant été contraintes ou simplement témoins, alors que la réalité est différente : beaucoup ont directement contribué aux actions et sont fortement radicalisées. Ignorer cette réalité revient à ne pas rendre justice et à nier leur capacité d’agir et leur responsabilité.

 

Il s’agit également d’inscrire notre répertoire d’action dans des méthodologies et pratiques féministes, telles que celle du CARE. Cela peut se traduire, par exemple, par le fait de prendre soin de nos collaborateur.ices étranger.ères, de couvrir leurs frais et, surtout, de garantir une sécurité réelle et anticipée en échange de leur participation. En d’autres termes, il convient d’adopter une méthodologie de travail non-extractive, respectueuse de l’intégrité et de l’autonomie de chacun.e.

 

Perspectives Futuresoriser

Galvanisé.es par cette conférence, nous avons collectivement émis le désir de construire un projet durable sur les bases de ces discussions fertiles. Des rencontres régulières, des participant.es, sont prévues et pourraient donner lieu au dépôt d’un projet commun.
Merci aux organisatrices et participant.es de cette belle journée.

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